Ouvrages (Édition Critique) Année : 2023

Dans un fauteuil

Résumé

Comment conservons-nous des traces de nos paysages préférés ? La peinture, la photographie – du tirage d’art à la carte postale ou au photoreportage personnel – ont longtemps été les moyens privilégiés de la capture matérielle des paysages, définis depuis le XVIe siècle comme l’étendue qui s’offre au regard, à la vue. Or, depuis une décennie le rapport à la photographie personnelle évolue : l’irruption des smartphones dans le quotidien a bouleversé les possibilités – technique et conjoncturelle (le moment de la capture photographique a perdu son caractère privilégié au profit d’une capture en rafale à bout de bras ou de bâton à selfie) – de photographier un paysage. La facilitation technologique s’est donc traduite par une dérive consumériste où, à la capture réfléchie et précieuse d’antan (lorsque la pellicule argentique limitait le nombre de prises de vue), succède une logorrhée photographique bien souvent stérile, puisque les photos « souvenirs » s’amassent dans la mémoire du téléphone, sont rarement revisionnées et finissent par être oubliées, donc privées de leur fonction mémorielle. Pire, le paysage est même parfois capturé numériquement sans être vu directement, sans que le regard ne se soit attardé sur les éléments qui composent le paysage. La photographie ne fige plus un « souvenir », elle matérialise la capture d’une proie, elle est un trophée. Le mouvement du monde contemporain est de tout montrer, tout le temps, mais de ne plus prendre le temps de regarder. Mon travail sur les paysages a pour fil rouge les notions de mémoire, de nostalgie, de souvenir. La réflexion que je mène, issue de la géographie et de l’écologie du paysage puis déportée vers les arts visuels, porte sur une autre manière de capturer le paysage et d’en (re)faire l’expérience hors site. Historiquement, le paysage existe d’abord comme représentation – une copie, artistique ou technique – avant de devenir, beaucoup plus tard, « expérience d’un morceau d’espace perçu d’un coup par quelqu’un » (Jakob). Le paysage est une création des artistes dont les scientifiques (géographes, écologues, etc.) se sont ensuite emparés. Je conserve de l’approche naturaliste le souci constant d’une capture réductionniste des paysages aboutissant in fine à leur classification. Les fruits de cette réflexion s’articulent autour de plusieurs modes de restitution plastiques de ces « morceaux d’espace perçu », développés depuis 2016 : les sismotions, le payscament, la traînée paysagère, l’écorché et la réduction pédologique. Chacun souligne à sa manière un caractère particulier du paysage entre fragilité, incertitude et éphémère. Le souvenir paysager devient labile et imprécis pour qui le saisit en mouvement ; objet de consommation courante que l’on pourrait presque produire à l’échelle industrielle ; panorama infini dont on ne retient que quelques fragments ; richesse ancestrale en voie d’épuisement donc objet de spéculation potentielle. Ces modes plastiques constituent les sources de nouvelles représentations où le rétinien n’occupe plus nécessairement la place prédominante que lui octroie la tradition artistique paysagère. Il s’agit de proposer de nouvelles expériences de dégustation paysagère qui satisfassent l’ensemble des sens et qui suscitent un renouvellement de la relation de l’homme à son habitat à travers le prisme de l’art, une écologie d’essence artistique donc, toujours en mouvement.
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Citer

Samuel Etienne. Dans un fauteuil. Friville, pp.120, 2023, 9791093155913. ⟨hal-04865409⟩
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